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Porter plainte pour harcèlement moral au travail

Sommaire

Le harcèlement moral au travail est parfois difficile à identifier, y compris quand vous en êtes victime. Il est également difficile à prouver. Si vous avez repéré des signes et pensez être victime de harcèlement vous devez prévenir vos supérieurs, la direction des ressources humaines, les syndicats et représentants du personnel, la médecine du travail, le service social (assistants sociaux du travail), puis tenter une médiation. Si cela n'apporte pas de changement à votre situation, vous pouvez porter plainte pour harcèlement au travail.

Zoom sur la notion de harcèlement moral au travail

Le harcèlement moral est défini à l’article L. 1152-1 du Code du travail comme « des agissements répétés (...) qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. » Cette définition reprend les termes de l’article 222-33-2 du Code pénal.

Le harcèlement moral se caractérise donc par des agissements répétés qui aboutissent à :

  • une dégradation des conditions de travail ;
  • une altération de la santé physique ou mentale ;
  • des effets dommageables sur l’avenir professionnel.

Bon à savoir : s'il n'est pas nécessaire de prouver le caractère intentionnel aux termes du Code du travail, prouver le caractère intentionnel au regard du Code pénal est par contre obligatoire.

À noter : la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 a élargi les faits constituant un harcèlement moral. Désormais, on considère qu'il y a harcèlement moral lorsque les « propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l'instigation de l'une d'elles, alors même que chacune de ces personnes n'a pas agi de façon répétée » ou lorsque les « propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l'absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition ». Par ailleurs, le fait de commettre des faits de harcèlement via un support numérique ou électronique devient une circonstance aggravante.

Remarque : le fait de ne pas être physiquement présent dans l’entreprise n’empêche pas un salarié de se déclarer victime de harcèlement moral de la part de son employeur. En effet, le contrat de travail n’étant pas rompu, le salarié qui est dispensé d’activité peut faire l’objet de harcèlement moral (Cass. soc., 26 juin 2019, n° 17-28.328).

1. Regroupez des preuves de harcèlement moral

Pour que votre plainte soit crédible, regroupez tous les faits et témoignages que vous pouvez. Commencez par vous munir d'un carnet personnel. Notez-y tous les agissements répétés (comportements, paroles, actes, gestes, dégradations des conditions de travail...) portant atteinte à votre personnalité, à vos droits, à votre dignité, à votre santé physique et mentale, ou à votre avenir professionnel. Incluez tous les actes, même les plus anodins.

Les faits présentés par un salarié pour démontrer un harcèlement moral doivent être examinés dans leur ensemble. Ainsi, il est possible que les « agissements répétés » requis pour qualifier le harcèlement moral se caractérisent par plusieurs faits isolés, de nature différente et qu’il convient d’examiner dans leur ensemble (Cass. soc., 26 juin 2019, n° 17-20.723).

Précisez si l'agissement se répète tous les jours, au moins une fois par semaine ou au moins une fois par mois, et datez chaque répétition.

Bon à savoir : en cas de harcèlement moral, la simple présomption suffit. En effet, par un arrêt du 30 avril 2009 (n° 07-43219), la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que « le salarié n'est tenu que d'apporter des éléments qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral ». Mais il est préférable d'avoir des preuves, ne serait-ce que pour vous même. Cela vous permettra de vérifier si votre présomption de harcèlement est juste et vous vous sentirez plus crédible.

Identifiez les actes de harcèlement

Pour vous aider à identifier les agissements, voici une liste de repérage des techniques de harcèlement :

  • Atteintes aux relations au travail (isolement, refus de communication, agression) :
    • On vous interrompt sans cesse.
    • Vos supérieurs hiérarchiques ou vos collègues ne vous parlent plus.
    • On communique avec vous uniquement par écrit.
    • On refuse tout contact, même visuel, avec vous.
    • On vous installe à l’écart des autres.
    • On ignore votre présence en s’adressant uniquement aux autres.
    • On interdit à vos collègues de vous parler.
    • On ne vous laisse plus parler aux autres.
    • On vous prive de travail.
    • La direction refuse toutes vos demandes d’entretien.
    • On vous menace de violences physiques.
    • On vous agresse physiquement, même légèrement (on vous bouscule, on vous claque la porte au nez, etc.).
    • On hurle contre vous.
  • Atteintes aux conditions de travail :
    • On vous retire votre autonomie.
    • On ne vous transmet pas délibérément les informations utiles à la réalisation d’une tâche.
    • On conteste systématiquement toutes vos décisions.
    • On critique votre travail injustement ou exagérément.
    • On vous retire l’accès aux outils de travail (téléphone, fax, ordinateur, etc.).
    • On vous retire le travail qui normalement vous incombe.
    • On vous donne en permanence de nouvelles tâches.
    • On vous attribue volontairement et systématiquement des tâches inférieures à vos compétences.
    • On fait pression sur vous pour que ne fassiez pas valoir vos droits (congés, horaires, primes, accès à la formation, etc.).
    • On vous attribue contre votre gré des travaux dangereux.
    • On vous attribue des tâches incompatibles avec votre santé.
    • On occasionne des dégâts à votre poste de travail.
    • On vous donne délibérément des consignes impossibles à exécuter.
    • On ne tient pas compte délibérément des avis médicaux formulés par le médecin du travail.
    • On vous pousse à la faute.
  • Atteintes à la dignité de la personne :
    • On utilise des propos méprisants pour vous qualifier.
    • On utilise envers vous des gestes de mépris (soupirs, regards méprisants, haussements d’épaules, etc.).
    • On vous discrédite auprès des collègues, des supérieurs ou des subordonnés.
    • On fait courir des rumeurs à votre sujet.
    • On vous attribue des problèmes psychologiques ou relationnels.
    • On se moque de vos handicaps ou de votre physique.
    • On vous imite ou on vous caricature.
    • On critique votre vie privée.
    • On se moque de vos origines ou de votre nationalité.
    • On s’attaque à vos croyances religieuses ou à vos convictions politiques ou syndicales.
    • On vous attribue des tâches humiliantes.
    • On vous injurie avec des termes obscènes, dégradants ou humiliants.
    • On utilise des sous-entendus, des non-dits, des remarques blessantes, des sarcasmes à votre égard.
    • On claque la porte, on cesse les conversations à votre passage.
    • On envahit votre vie privée par des coups de téléphone ou des lettres.
    • On vous suit dans la rue, on vous guette devant votre domicile.
    • On occasionne des dégâts à votre véhicule.
    • On vous harcèle ou on vous agresse sexuellement (gestes ou propos).
    • On ne tient pas compte de vos problèmes de santé.

Attention :  le stress, la pression au travail, le conflit, la maltraitance managériale et les contraintes professionnelles ne sont pas du harcèlement moral mais peuvent conduire à la mise en place d'un harcèlement.

À noter : des comportements du supérieur hiérarchique excédant les limites du pouvoir de direction, comme un ton excessif, des remarques inadaptées ou un comportement critiquable à l'égard du personnel, peuvent constituer un harcèlement moral (Cass. crim., 19 juin 2018, n° 17-82.649).

Bon à savoir : pour un salarié, le bore-out consiste à souffrir d'épuisement professionnel par l'ennui (c'est l'inverse du burn-out). Dans le cadre d'un licenciement individuel, l'employeur doit démontrer que le bore-out n'est pas lié à des agissements constitutifs d'un harcèlement moral et que la décision de licencier le salarié est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. À défaut, les juges considèrent que le bore-out peut être constitutif de harcèlement moral (CA Paris, 2 juin 2020, n° 18/05421).

Réunissez des preuves matérielles

Récupérez et conservez les preuves des actes dont vous êtes victime : les mails, les courriers, les textos, les plannings, les listes de tâches, les retours de travail avec des corrections injustifiées, l'historique des convocations de réunions sur lesquelles votre nom disparaît subitement, les notes de service, les certificats médicaux, les plannings montrant la surcharge de travail...

Bon à savoir : prenez des photos si nécessaire. Par exemple, si vous avez été privé de votre ordinateur ou d'un outil de travail, prenez une photo de votre bureau ou de votre poste de travail.

Recueillez des témoignages

Recherchez le témoignage de collègues de travail ou de toute autre personne qui a assisté à des actes de harcèlement à votre encontre. Cette tâche peut être très difficile car les personnes peuvent se sentir en danger et refuser de témoigner.

Bon à savoir : si un de vos collègues quitte l'entreprise n'hésitez pas à lui demander son témoignage, il se sentira moins en danger.

Faites un point sur votre situation

Une fois que vous avez réuni ces éléments, faites un point sur votre situation. Assurez-vous qu'elle semble correspondre à une réelle situation de harcèlement psychologique. Puis allez en parler à vos supérieurs, la direction des ressources humaines, les syndicats et représentants du personnel, la médecine du travail, le service social (assistants sociaux du travail), puis le service de médiation.

Si aucune de ces options n'apporte de changement à votre situation, vous pouvez porter plainte. Mais sachez que déposer une plainte de harcèlement psychologique peut avoir de dures conséquences pour la personne présumée harceleuse. Avant de déposer une telle plainte, interrogez-vous sur la nature de la situation : n'est-ce pas plutôt un conflit avec un supérieur ? Est-ce un sentiment de revanche qui vous guide ? Voulez-vous uniquement nuire à une personne ?

Bon à savoir : si vous déposez une plainte de harcèlement psychologique manifestement sans fondement et dans le seul but de nuire à une personne, vous risquez de faire l'objet de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu'au licenciement, selon la gravité de votre dénonciation.

2. Choisissez où porter plainte pour harcèlement

Pour porter plainte pour harcèlement moral au travail, vous avez plusieurs possibilités :

Bon à savoir : depuis le 1er août 2016, la saisine du conseil de prud'hommes ne peut plus se faire par simple dépôt d'un formulaire. Il peut être saisi soit par présentation volontaire devant le bureau de conciliation et d'orientation soit par requête.

  • Déposer plainte auprès du procureur de la République dont dépend le lieu où les faits se sont déroulés, dans les 6 ans à partir du jour de la commission de l'infraction, en déposant une lettre sur papier libre au tribunal judiciaire (ex-tribunal de grande instance).
  • Déposer plainte dans une gendarmerie ou un commissariat de police : cette démarche est moins adaptée pour une plainte pour harcèlement car l'infraction constitue rarement un danger imminent susceptible de mobiliser les forces de l'ordre.

Bon à savoir : ces démarches peuvent être effectuées par votre syndicat, à votre place.

À noter : l’infraction de harcèlement moral se caractérise par des propos ou des comportements « répétés ». Ainsi, pour définir le délai de prescription, il convient de se placer à la date du dernier acte reproché (Cass. crim., 19 juin 2019, n° 18-85.725).

3. Rédigez le courrier de plainte ou la requête pour harcèlement psychologique

Déposez votre plainte auprès du procureur de la République ou au tribunal judiciaire

Si vous choisissez de déposer votre plainte auprès du procureur de la République ou au tribunal judiciaire, vous devez rédiger un courrier relatant votre situation.

Dans ce courrier, mentionnez :

  • votre état civil complet ;
  • le récit détaillé des faits, les lieux et dates du harcèlement ;
  • le nom de l'auteur du harcèlement si vous le connaissez (sinon la plainte sera déposée contre X ;
  • les noms et adresses des témoins éventuels du harcèlement ;
  • la description et l'estimation provisoire ou définitive du préjudice, tant physique que moral, résultant du harcèlement.

Exemple de lettre :
Madame, Monsieur,
Je soussigné [Nom, Prénom], né(e) le [date], dans la ville de [préciser] et demeurant à l’adresse suivante : [préciser], a l’honneur de porter plainte contre [Nom, Prénom] pour harcèlement moral.
Je travaille depuis [date] dans l’entreprise [préciser]. Depuis 3 mois, je vois mes conditions de travail se dégrader. Mon responsable [Nom, Prénom] ne m'adresse plus la parole, me critique constamment devant mes collègues. Je souffre d'un handicap. Il me reproche ma lenteur et me mime… Mes collègues me tournent désormais le dos. Je prends des somnifères depuis 15 jours car mes angoisses m'empêchent de dormir. J'ai le moral de plus en plus bas, j'ai peur de mal faire et de perdre mon travail. Je ne peux pas continuer ainsi.
Je vous remercie d’enregistrer cette plainte et de bien vouloir me tenir au courant des suites qui seront données à cette affaire. Je vous prie de recevoir, Madame, Monsieur, mes salutations respectueuses.
À [lieu], le [date]
[votre signature]

Déposez votre requête auprès du greffe du conseil des prud'hommes

À peine de nullité, la requête comporte les mentions prescrites à l'article 58 du Code de procédure civile. Elle contient aussi un exposé sommaire des motifs de la demande et mentionne chacun des chefs de celle-ci. Elle doit être accompagnée des pièces que vous souhaitez invoquer à l'appui de votre prétention. Énumérez ces pièces dans le bordereau annexé à la requête.

Adressez ou remettez votre requête au greffe du conseil des prud'hommes.

Attention, les greffes des tribunaux judiciaires (ou de leurs tribunaux de proximité) et ceux des conseils de prud’hommes situés dans une même commune ont fusionné le 1er janvier 2020 (article 95 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice).

Présentez-vous volontairement devant le conseil des prud'hommes

Le conseil des prud'hommes peut être saisi par présentation volontaire des parties devant le bureau de conciliation et d'orientation. En pratique, présentez-vous aux jours et heures de conciliation accompagné de la personne avec qui vous êtes en conflit au travail.

Bon à savoir : cette disposition n'est pas nouvelle mais n'est, en pratique, jamais utilisée.

4. Obtenez réparation suite à votre plainte pour harcèlement moral

Les sanctions encourues par l'auteur de harcèlement moral

Pour l'auteur du harcèlement moral, trois types de sanctions peuvent se cumuler :

  • Les sanctions prises par l'employeur : tout salarié ayant commis des agissements de harcèlement moral est passible de sanctions disciplinaires (mutation, mise à pied, licenciement).
  • Les sanctions pénales : le harcèlement moral est un délit pénal puni par des peines allant jusqu'à 2 ans d’emprisonnement et 30 000 € d'amende (article 222-33-2 du Code pénal).
  • Les sanctions civiles : la victime du harcèlement moral peut attaquer l'auteur de l'infraction devant les juridictions civiles pour obtenir des dommages et intérêts (préjudice moral, frais médicaux...).

Les mesures ordonnées à votre employeur

La justice peut ordonner à l'employeur :

  • de vous réintégrer ;
  • de vous payer une indemnité jusqu'à un maximum équivalant au salaire perdu ;
  • de prendre les moyens raisonnables pour faire cesser le harcèlement ;
  • de vous verser des dommages et intérêts punitifs et moraux ;
  • de vous verser une indemnité pour perte d'emploi ;
  • de financer le soutien psychologique requis, pour une période raisonnable qu'elle détermine ;
  • de modifier votre dossier disciplinaire.

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